Place au Peuple

dimanche 10 janvier 2016

Pragmatisme et politique

Salut et Fraternité,


         Realpolitik, pragmatisme, combien de fois les médias nous rebattent les oreilles avec ces mots souvent prononcés de façon quasi incantatoire ? Et ne parlons pas du sens commun dévoyé par un mouvement pour le moins rétrograde ! 

         Gramsci, du fond de sa prison, perce à jour les pragmatistes. A mon sens, il nous met aujourd'hui en garde contre une approche de la politique se voulant exclusivement pratico-pratique et pour ce faire s'affranchissant de toutes réflexions et apports théoriques. 

         "Les pragmatistes, eux, ont tout au plus servi à créer le mouvement du Rotary Club ou à justifier tous les mouvements conservateurs et rétrogrades." écrit-il pour conclure sa réflexion. Ainsi suis-je très heureux de m'inscrire dans un courant politique où la pensée précède, accompagne et succède à l'action. Ceux qui aujourd'hui rejettent toute conceptualisation de l'action politique sont soit des idiots indécrottables, soit des escrocs surfant avec succès sur la vague du zapping décérébrant.  


Que celui qui a des oreilles pour entendre entende.


Jn-Mc


Pragmatisme et politique
1933-34


         On ne peut pas, semble-t-il, faire une critique du «pragmatisme», si on ne tient pas compte du cadre historique anglo-saxon dans lequel il est né et dans lequel il s'est répandu. S'il est vrai que toute philosophie est une «politique» et que tout philosophe est essentiellement un homme politique, l'affirmation est d'autant plus vraie pour le pragmatisme qui construit la philosophie «utilitairement» au sens immédiat. 


         Mais cela n'est pas pensable (comme mouvement) dans des pays catholiques où la religion et la vie culturelle se sont scindées dès la Renaissance et la Contre-réforme, alors qu'on l'imagine aisément pour les pays anglo-saxons, où la religion adhère réellement à la vie culturelle de tous les jours et n'est pas centralisée bureaucratiquement, ni dogmatisée intellectuellement. En tout cas, le pragmatisme échappe à la sphère religieuse positive et tend à créer une «philosophie populaire» supérieure au sens commun ; c'est un «parti idéologique» immédiat plus qu'un système de philosophie.


         Si on prend le principe du pragmatisme tel qu'il est exposé par James :


        «La méthode la meilleure pour discuter les divers points d'une théorie est de commencer par établir clairement quelle différence pratique résulterait du fait que l'une ou l'autre des deux possibilités fût la vraie.»(1)


         On voit quel peut être le caractère de politique immédiate de la philosophie pragmatiste. Le philosophe «individuel» du type italien ou allemand, est lié à la «pratique» médiatement (et souvent la médiation est une chaîne faite de nombreux anneaux), le pragmatiste, lui, veut s'y lier tout de suite et en réalité ce qui apparaît de cette manière, c'est que le philosophe italien ou allemand est plus «pratique» que le pragmatiste qui juge d'après la réalité immédiate, souvent vulgaire, alors que l'autre a un but plus élevé, il vise plus haut et tend donc à élever le niveau culturel existant (quand il y tend, bien sûr). Hegel peut être considéré comme le précurseur théorique des révolutions libérales du XIXe siècle(2). Les pragmatistes, eux, ont tout au plus servi à créer le mouvement du Rotary Club ou à justifier tous les mouvements conservateurs et rétrogrades (à les justifier en fait, et non seulement par suite d'une déformation polémique comme c'est arrivé pour Hegel et l'État prussien(3)).



Gramsci dans le texte (1916-1935) pg 118-119




1. W. JAMES : L'Expérience religieuse, essai de psychologie descriptive [trad. de l'anglais par Frank Abauzit, préf. d'Émile Boutroux, Paris, Alcan, 1906, p. 373]. (Note de Gramsci.)
2. Cf. Antonio Gramsci dans le texte pp. 260-261.
3.  Hegel est souvent considéré comme le philosophe qui a exalté l'État prussien. Mais en fait, à travers la justification de l'État représenté par la Prusse de son époque, il a fait «l'analyse critique de l'État moderne et de la réalité qui s'y trouve liée». (MARX : Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Paris, Costes, 1927, Oeuvres philosophiques, tome I, p. 95.)



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