Salut & Fraternité,
Qualifiés de bourlingueurs de père en fils par l'Huma en 2000, la famille Mahuzier constituée du couple parental Jeanne (1908-1994) dite Janine & Albert (1907-1980) entourés de pas moins de neuf enfants sillonna le monde durant la seconde moitié du 20ème siècle, rapportant films, photos et récits de voyages qui enchantèrent mon enfance et mon adolescence. Quand ils réalisèrent leur périple en Albanie, à bord de deux 4L et d'une Renault Domaine pour vaisseau amiral, il n'étaient plus des débutants. Deux mois de voyage dans un pays d'Europe n'était en principe pas un défit en regard des raids précédents accomplis à travers d'autres continents. Cependant, la présence permanente d'un "guide" et l'obligation de loger à l'hôtel furent, pour ces inconditionnels du camping et de la liberté, des contraintes auxquelles ils finirent tout de même à s'adapter. Albert Mahuzier, catholique pratiquant mais aussi grand humaniste et fin lettré, porte sur l'Albanie d'alors un regard se refusant au parti pris et jette inlassablement des ponts plutôt que d'ériger des murs. "L'Albanie qui avait quitté trois ans plutôt l'orbite soviétique pour chercher l'appui chinois, m'intéressait beaucoup." (pg 11) écrivait-il dans son récit de voyage et ils allèrent de surprise en surprise qu'il décrivit avec beaucoup d'humour et non moins d'amour.
Avec les Mahu, la dimension humaine et humaniste des voyages passe avant tout, comme nous pouvons le percevoir dans le récit de la rencontre avec Lin : "Rapidement, nous passâmes à table, et c'est ici qu'apparaît un personnage bien sympathique, Lin, maître d'hôtel, compagnon d'excursion, conseiller technique et véritable copain, avec ce mélange, cette bonhomie, cette absence de sens des castes qui est un des très rares avantages des régimes populaires." (pg 40). Les rencontres, sont le plus souvent fructueuses : "Ainsi, tous les jours, en bavardant, en interrogeant, nous allions pénétrer la vie de la population albanaise et constater sa grande amabilité, parfois opposée à la rigidité et à l'incompréhension des sphères officielles." (pg 69). L'importance donnée à l'instruction des masses n'échappe pas à l'éducateur et au pédagogue qu'est Albert Mahuzier : "La coopérative avait son centre culturel, une maisonnette de plain-pied qui faisait office de salle de lecture et de réunion. De nombreuses devises décoraient les murs et vantaient la perfection du régime actuel qui, sur le plan éducatif, a beaucoup fait pour l'Albanie, comme dans toutes les républiques populaires, soyons honnêtes." (pg 72)
Fidèle à lui-même, il ne manque pas une occasion de pointer les dysfonctionnements et les incohérences du système mais le fait avec tellement de bonhomie et un tel souci de justice qu'il ne s'attire que respect et considération : "J'avais autant horreur du bourrage de crâne anticapitaliste que des mensonges anticommunistes. Ma carrière d'indépendant en fait foi et six-cent conférences objectives sur l'URSS m'avaient permis de crever beaucoup de ballons de haine et de m'assurer l'estime de beaucoup d'honnêtes gens appartenant à toutes les religions et à toutes les opinions politiques." (pg 98). Et il ajoute plus loin, fustigeant un reporter occidental invité gracieusement par le régime et donc en faisant logiquement l'apologie : "Je préfère rester indépendant, payer mon voyage, au tarif d'ailleurs très raisonnable d'Albtourist, et conserver un jugement sain. Il est vrai que ce journaliste que nous rencontrâmes au Grand Hôtel Dajti de Tirana, déclara à mes fils avec autorité : Moi, je suis, inconditionnellement d'accord. Quelle bêtise. J'aime l'Albanie et les Albanais plus profondément, et je crois leur rendre service en leur signalant certaines imperfections. Nous avons passé suffisamment de bons moments chez eux - que nous reconnaissons très volontiers dans ce livre - pour garder notre indépendance et un jugement honnête, débarrassé de toute flagornerie." (pg 111-112). (À suivre...)
Que celui qui a des oreilles pour entendre entende.
Jn-Mc
Source Illustration : Ville de Boulogne-Billancourt
Source Bibliographique : L'Albanie entrouvre ses frontières par A. Mahuzier 1965 Presses de la Cité
Retrouvez les autres articles de la série sous le libellé Le Monde vu par les Mahu
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