Place au Peuple

mercredi 14 novembre 2018

Le crétin : du pathos à l'insulte. (2/2)

Salut & Fraternité,

          Alfred-Charles Collineau (1832-1894), médecin et anthropologue du 19ème siècle nous a laissé en héritage plusieurs travaux scientifiques allant de la rhumatologie à la psychiatrie. L'étude intitulée "Le crétin" publiée en 1888, soit trois ans après celle consacrée à "L'idiot", témoigne de la même rigueur scientifique. Remarquable travail de synthèse, il rassemble les connaissances médicales de l'époque sur une pathologie heureusement aujourd'hui quasiment disparue des pays développés mais malheureusement plus que jamais très présente dans le dans le raisonnement de nos contemporains... 


            Certaines causes sont à mettre en lien avec le milieu et d'autres avec les personnes. Ces dernières, selon lui race,  hérédité, immigration, alliances, sexe ont une valeur secondaire. Cependant "il n'est pas de race dans l'humanité qui puisse se flatter d'être réfractaire à la dégénérescence crétineuse.". S'opposant à nombre d'auteurs dont François-Emmanuel Fodéré (1764-1835), Jules Lunier (1822-1885) s'appuyant sur les recherches de six autres médecins il attache une importance médiocre à l'hérédité. C'est là que nous voyons transparaître les causes possibles du crétinisme, pas si évidentes à l'époque. Collineau précise que "des parents sains, ayant engendré des enfants sains, engendrent des crétins, une fois établis dans une région infectée de crétinisme.tout comme "à la condition d'aller passer en lieu non contaminé les derniers mois de grossesse, les mères entachées de crétinisme mettent au monde des enfants qui ne deviennent pas crétins.". Pour ce qui est des alliances l'union entre semi-crétineux et crétineux favorise la genèse de la dégénérescence. Par ailleurs "la disproportion d'âge, la consanguinité, l'ivrognerie, l'état d'ivresse au moment de la copulation ont été, avec raison, invoqués à titre de "facteurs adjuvants.". Idem pour la misère et l'insalubrité. L'immigration, pour Collineau n'a rien de géopolitique mais se réfère tout simplement aux déplacements de populations de zones infectées vers des zones non infectées et réciproquement. Ce qui l'amène à en déduire que "l'endémicité du crétinisme est indiscutable." Par ailleurs, les hommes sont plus touchés que les femmes "dans la proportion de 5 à 4.".    


          Afin de "préciser la nature de l'influence agissante", de nombreux critères environnementaux furent étudiés et "des constatations aussi attentives que contradictoires sont venues saper par la base le fragile édifice des hypothèses en apparence les plus plausibles". On trouve des crétins sous toutes les latitudes et tous les climats. "L'altitude de 1.200 mètres n'est qu'une digue illusoire à l'invasion de l'endémie.". Topographie, accidents de terrain, conditions météorologiques, composition des eaux ne peuvent être à l'origine du crétinisme. Des observations réalisées par Bernard Niepce (1815-1894) à Allevard dans le Dauphiné, laissent penser que la rénovation urbaine respectant les principes des hygiénistes a une incidence positive réduisant considérablement la fréquence d'apparition de cette dégénérescence. Des pointures telles que Louis Delasiauve (1804-1893), Désiré-Magloire Bourneville (1840-1909), Georges Gilles de la Tourette (1857-1904) ont mis en avant une forme sporadique de crétinerie par des exemples trouvés dans des régions non touchées par le mal, battant ainsi en brèche l'hypothèse de l'endémie. Mais Collineau démontre qu'ils ont confondu idiotie et crétinisme, provoquant ainsi la confusion dans les statistiques épidémiologiques. L'idiot est en termes de déficits l'inverse du crétin, tant physiquement que psychiquement. L'un a une tête allongée, l'autre évasée. L'un a la peau fine et blanche, l'autre terreuse et  rugueuse. L'un conserve quelques virtualités intellectuelles et affectives, l'autre est indifférent et inerte. La présence du goitre n'est pas l'apanage du crétinisme. Les malformations congénitales réduisent, selon Jules Lunier (1822-1885), la durée vie du crétin à un maximum d'une trentaine d'année, sauf cas particuliers des semi-crétins et des crétineux arrivant jusqu'à la vieillesse. "La portée intellectuelle du crétin complet équivaut à celle d'un enfant de quelques mois." La somnolence prédomine, associée à une boulimie et une incontinence. La nosographie du 19ème siècle distingue alors crétins, idiots et imbéciles. Chaque catégorie ayant ses sous-groupes se déterminant beaucoup en fonction du degré d'éducabilité. 

          Mais l'origine du crétinisme, en dépit des nombreux travaux dont il fait l'objet, demeure obscure. Collineau voit en le paupérisme une cause déterminante car génératrice de malnutrition et producteur une "dépression intellectuelle". Pour lui le crétinisme peut graduellement disparaître par "l'amélioration résultant pour l'alimentation d'un bien-être relatif ; le mouvement politique et social qui, en faisant pénétrer la civilisation dans les couches inférieures de la société, les a poussées à une vie intellectuelle plus active et a contribué, de la sorte, à la régénération du cerveau.". Et il termine par "accorder aux infortunées victimes de cette triste et profonde dégénérescence, l'intérêt auquel elles ont droit, c'est en même temps envisager la question sociale sous un de ses aspects poignants.". La carence en iode, dont il ignore encore l'incidence sur la survenue de cette dégénérescence sera mise en évidence au début du 20ème siècle grâce à l'observation de populations vivant en montagne, d'où l'expression "Crétin des Alpes" devenue une des insultes emblématiques du Capitaine Haddock. Découvert en 1811, l'iode fut pour la première fois ajouté au sel non-marin en 1922 par la Suisse qui réussit à faire régresser des pathologies telles que les dysfonctionnements thyroïdiens et le retard mental.

Jn-Mc


 Source Illustration : Collection Personnelle

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