Place au Peuple

vendredi 16 novembre 2018

Le Monde vu par les Mahu - Albanie (4)

Salut & Fraternité,

          Comme dans tous ses voyages, Albert Mahuzier s'intéresse aux pratiques culturelles et religieuses des  peuples qu'il rencontre. En 1964, l'Albanie n'est pas encore le premier pays au monde se déclarant officiellement athée. Ce sera le cas à partir de 1967 et jusqu'à sa Constitution ratifiée par référendum en 1998 où la République d'Albanie se définira alors comme un État laïc qui "observe la liberté des croyances religieuses et créé des conditions pour l'exercer." (Art. 7). Aimant à jouer au Candide, le chef de l'expédition raisonne de la façon suivante : "Le marxisme-léninisme est fondamentalement athée mais, Lénine n'a-t-il pas pas déclaré avec autorité qu'une religion clandestine était plus dangereuse qu'une religion déclarée . Ainsi pourquoi brimer des religions qui ont rendu service à une certaine époque puisqu'elles disparaîtraient d'elles-mêmes devant les bienfaits (?) d'une instruction publique obligatoirement athée ?" (pg 62). À la lecture de ceci on peut supposer qu'Albert Mahuzier a connaissance de certains textes de Lénine dont celui de 1905 intitulé "Socialisme et religion" et celui de 1909 intitulé "De l'attitude du parti ouvrier à l'égard de la religion", pourtant il n'est pas communiste pour un kopek et fréquente régulièrement les églises. Chercher à comprendre le raisonnement d'autrui et à s'approprier le socle de connaissances sur lesquelles il fonde son opinion ou sa croyance est une démarche témoignant d'une ouverture d'esprit n'interdisant pas de nourrir et d'affirmer ses propres convictions.

          À la manière d'un ethnographe, Albert Mahuzier collecte des informations sur les modes de vie des peuples et les systématise : "Il est très vraisemblable que sur les 45.000 habitants de Shkodër, il y a quelques incroyants, ne serait-ce que les membres du parti du travail, si ce dernier essaie d'imposer l'athéisme doctrinal. En supposant d'après les chiffres qui m'ont été fournis, le P.P.SH (Parti du Travail Albanais) ne représente pas plus de 15% de la population du pays, il resterait alors environ 35.000 croyants dont 24.000 musulmans et 11.000 catholiques." (pg 79). La famille Mahuzier rencontre des gens de toutes confessions et de toutes opinions. Les échanges, toujours respectueux, sont d'une grande richesse. Lors de la visite d'un Téqué, monastère Bektashi, ils rencontre des Soufis qui leur font bon accueil. "Ce sont en somme des musulmans réformés qui ne se tournent pas vers la Mecque pour prier, n'admettent pas le Coran et suivent plusieurs règles de jeûne qui leur sont propres. [....] Le gouvernement actuel n'avait pas tenté de détruire systématiquement les religions, et les Bektachis jouissaient d'une certaine considération en raison de leur attitude patriotique pendant les guerres et les occupations étrangères. [...] Il y avait ici quatre moines et quelques laïcs mais pas de femmes. Ils vivaient tous du produit de leur travail : culture, élevage, auquel venaient s'ajouter quelques aumônes. Le gouvernement ne les brimait pas parce qu'ils respectaient son autorité et se conformaient aux exigences d'un régime qui refuse les parasites. Organisés en coopératives de production, ils étaient incorporés à la vie normale du pays." (pg 221-222). Idem pour les Chrétiens dont ils rencontrent les branches catholiques et orthodoxes. "Il y avait encore un pope et cinq moines. Mais ils étaient assimilés à des coopérateurs et travaillaient les terres du monastère pour pouvoir subsister. J'avais déjà entendu parler, à mots couverts, d'un régime similaire en U.R.S.S., mais, en Albanie, nous le vérifiâmes plusieurs fois au cours de ce voyage, la vie monastique s'était maintenue pour les orthodoxes et les musulmans. Les religieux devaient seulement s'incorporer à la vie productive du pays, sans être des parasites à la charge de la société. Après tout, comment vivaient donc nos grandes communautés religieuses du Moyen Âge sinon de cette façon, défrichant, instruisant, recopiant, imprimant, produisant, en un mot, et donnant le plus parfait exemple du «communisme» dans le sens le plus chrétien du terme ?" (pg 127). Nous pouvons opposer à cela qu'il omet la dîme versée par les paysans à l'Église peu importe l'importance de la récolte et que l'imprimerie étant inventée à la toute fin du Moyen Âge (1450) les moines de cette époque là n'eurent guère le loisir d'imprimer par contre en pratiquant bien avant l'heure une certaine forme de photocopie ils étaient très en avance sur leur temps ! Blague à part, la culture générale particulièrement fournie d'Albert Mahuzier lui permet de pointer les similitudes entre certains fondements du christianisme et du communisme. "De chacun selon ses moyens et à chacun selon ses besoins.", principe commun au communisme, au socialisme utopique et à l'anarchisme, procède de la description du fonctionnement des premières communautés chrétiennes rapportée par le Livre des Actes des Apôtres (ch.2 v.44-45 & ch.4 v.32-35)...

          Pour ce qui est des Catholiques, leur positionnement vis-à-vis de l'État diffère de celui des Orthodoxes. "Mais la religion catholique n'ayant pas accepté la suzeraineté de la République populaire, ne bénéficierait d'aucun subside. N'ayant pas son siège à Tirana mais à Rome, elle est donc livrée à son sort personnel. Reconnaissons que le clergé catholique ne semblait ne semblait ni plus ni moins miséreux que le clergé orthodoxe. Quant aux édifices de notre culte, je n'en ai pas trouvé un seul qui justifiât sur le plan artistique notre admiration et pas d'avantage un soutien gouvernemental. Presque toutes les églises catholiques ouvertes au culte avaient été restaurées entre 1880 et 1930, et leur décoration intérieure, imprégnée du mauvais goût de cette époque, brillait par une absence totale de beauté. De plus certains tableaux  inspirés par des besoins que nous qualifierons d'attardés nous faisaient sourire, notamment des scènes d'enfer et de punitions célestes destinées à frapper l'âme simple des montagnards mais qu'on se serait attendu à découvrir dans des églises du Moyen Âge plutôt que dans les édifices 1964." (pg 63). S'il se présente comme un Catholique pratiquant, Albert Mahuzier n'en est pas pour autant une grenouille de bénitier et encore moins un cul bénit. Né en 1907, heureusement trop jeune pour être envoyé au front en 1914-1918, engagé dans la Résistance en 1939-1944, parcourant le monde dès 1947 il visite l'Albanie et publie son récit de voyage durant le Concile Vatican II (1962-1965) qui va en quelque sorte humaniser le catholicisme, un peu à la façon du socialisme à visage humain d'Alexander Dubcek (1921-1992) qui en 1968 n'eut pas du tout l'heur de plaire Léonid à Brejnev (1906-1982) ! Ce voyageur infatigable, est donc un progressiste toujours en avance sur son temps et on peut facilement imaginer sa réaction de père de neuf enfant s'il était confronté aujourd'hui aux multiples révélations de scandales pédophiles mettant à bon droit l'Église en accusation...    (À suivre...)   


Que celui qui a des oreilles pour entendre entende.

Jn-Mc

Source Illustration & Référence Bibliographique : L'Albanie entrouvre ses frontières par A. Mahuzier 1965 Presses de la Cité
Retrouvez les autres articles de la série sous le libellé Le Monde vu par les Mahu

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