Salut & Fraternité,
Ce soir c'est le réveillon de la Noël, comme ils disent en Provence, alors histoire de changer radicalement de climat et de culture, je vous invite par le truchement d'une édifiante nouvelle de l'inénarrable Sylvain Tesson intitulée Le téléphérique, à gagner de l'altitude et à perdre des degrés Celcius pour vous retrouver à Zermatt :
"Il flottait dans le chalet l'odeur joyeuse du boudin. Le feu de bois se
reflétait dans la glaçure des beignets. La nappe disparaissait sous les assiettes à
motifs de rennes lapons, les pains d'épice luisaient. Les couronnes de l'Avent
hérissées de quatre bougies rouges, quatre tours de cire, attendaient l'allumette.
Des sucres d'orge pendaient aux branches du sapin que Gretel et Hans, douze et
neuf ans, obèses tous les deux, ensevelissaient sous les guirlandes. Les arbres
sont des saints : ils se laissent persécuter en silence.
Le chat, lui, s'était caché. Le Cervin déployait ses arêtes, il encadrait dans la fenêtre ses ailes de chauve-souris pétrifiées. Sa masse d'encre envahissait le ciel. Quelques heures auparavant, les faces schisteuses, balayées de traits pastel par les rayons du couchant, s'étaient reflétées dans l'argenterie, souveraines, silencieuses, nourries d'alpinistes qui avaient prétendu égratigner le rocher noir de leurs parois. À présent, seul le sommet s'éclairait d'un capuchon de lumière. Greta, la maman de Gretel et Hans, achevait de fourrer les caillettes. Elle résistait à l'envie de goûter à sa farce aux pruneaux : elle avait pris huit kilos depuis la Toussaint et luttait depuis lors contre le désir morbide d'enfourner des choses dans sa bouche. Il lui fallait encore préparer les coquillages, remplir les cassolettes de cèpes, mettre la bière de Noël au frais et transvaser le vin de miel dans les carafons de cristal, pour l'éventer. Afin de se donner du cœur, elle écoutait un groupe de yodeleurs tyroliens. Ces chanteurs en short de cuir avaient réussi l'exploit de traduire en musique la dégoulinade de la crème.
Dans quelques heures, parents et cousins arriveraient. Tout serait prêt. Comme chaque fois, comme à chaque Noël. Un traîneau glissa devant les fenêtres. Des rires fusèrent. Des gens crièrent des noms anglais, ils retenaient dans leurs moufles des paquets de couleur griffés de noms de couturiers. Tout à l'heure, sous les sapins, des mains blanches et fines ouvriraient des écrins Cartier et des boîtes orange Hermès. Zermatt vibrait des préparatifs de la fête. Noël était la plus parfaite entreprise de détournement spirituel de l'histoire de l'humanité. On avait transformé la célébration de la naissance d'un anarchiste égalitariste en un ensevelissement des êtres sous des tombereaux de cadeaux. Pour quelques heures, en ce 24 décembre, l'immense névrose européenne de l'après-guerre s'octroyait un répit, le temps d'ouvrir des paquets dans un bruit de mandibules d'insecte.
Dans le chalet, il faisait 27°C. Le foie gras exsudait. Sur le bloc rose, les gouttes de graisse perlaient. C'était la même rosée qu'au-dessus de la lèvre supérieure de Greta. L'horloge de l'église sonna. « Déjà 5 heures? Étrange qu'ils ne soient pas rentrés », se dit Greta, à la vingt-cinquième huître.
Hans-Kristian Kipp, pharmacien bavarois, passait ses vacances de Noël à l'hôtel Mirabedau depuis quinze ans. Il introduisit une pièce de 5 francs suisses dans le télescope et le braqua sur le Klein Matterhorn. La cime du petit frère du Cervin était dans l'ombre elle aussi. On distinguait cependant le métal de la cabine du téléphérique. Elle oscillait au creux de la courbe du câble, entre deux pylônes meringués de glace. Kipp étouffa un juron. La silhouette d'un homme venait d'apparaître sur le toit de la benne, au-dessus du vide. Il était 5 h 10. Il faisait presque noir."
Pour lire la suite veuillez vous rendre sur le site d'Isabelle Foreau intitulé L'être en lettres et cliquez juste là pour accéder à la page de son Calendrier de l'Avent afin de retrouver ici l'intégralité du texte...
Le chat, lui, s'était caché. Le Cervin déployait ses arêtes, il encadrait dans la fenêtre ses ailes de chauve-souris pétrifiées. Sa masse d'encre envahissait le ciel. Quelques heures auparavant, les faces schisteuses, balayées de traits pastel par les rayons du couchant, s'étaient reflétées dans l'argenterie, souveraines, silencieuses, nourries d'alpinistes qui avaient prétendu égratigner le rocher noir de leurs parois. À présent, seul le sommet s'éclairait d'un capuchon de lumière. Greta, la maman de Gretel et Hans, achevait de fourrer les caillettes. Elle résistait à l'envie de goûter à sa farce aux pruneaux : elle avait pris huit kilos depuis la Toussaint et luttait depuis lors contre le désir morbide d'enfourner des choses dans sa bouche. Il lui fallait encore préparer les coquillages, remplir les cassolettes de cèpes, mettre la bière de Noël au frais et transvaser le vin de miel dans les carafons de cristal, pour l'éventer. Afin de se donner du cœur, elle écoutait un groupe de yodeleurs tyroliens. Ces chanteurs en short de cuir avaient réussi l'exploit de traduire en musique la dégoulinade de la crème.
Dans quelques heures, parents et cousins arriveraient. Tout serait prêt. Comme chaque fois, comme à chaque Noël. Un traîneau glissa devant les fenêtres. Des rires fusèrent. Des gens crièrent des noms anglais, ils retenaient dans leurs moufles des paquets de couleur griffés de noms de couturiers. Tout à l'heure, sous les sapins, des mains blanches et fines ouvriraient des écrins Cartier et des boîtes orange Hermès. Zermatt vibrait des préparatifs de la fête. Noël était la plus parfaite entreprise de détournement spirituel de l'histoire de l'humanité. On avait transformé la célébration de la naissance d'un anarchiste égalitariste en un ensevelissement des êtres sous des tombereaux de cadeaux. Pour quelques heures, en ce 24 décembre, l'immense névrose européenne de l'après-guerre s'octroyait un répit, le temps d'ouvrir des paquets dans un bruit de mandibules d'insecte.
Dans le chalet, il faisait 27°C. Le foie gras exsudait. Sur le bloc rose, les gouttes de graisse perlaient. C'était la même rosée qu'au-dessus de la lèvre supérieure de Greta. L'horloge de l'église sonna. « Déjà 5 heures? Étrange qu'ils ne soient pas rentrés », se dit Greta, à la vingt-cinquième huître.
Hans-Kristian Kipp, pharmacien bavarois, passait ses vacances de Noël à l'hôtel Mirabedau depuis quinze ans. Il introduisit une pièce de 5 francs suisses dans le télescope et le braqua sur le Klein Matterhorn. La cime du petit frère du Cervin était dans l'ombre elle aussi. On distinguait cependant le métal de la cabine du téléphérique. Elle oscillait au creux de la courbe du câble, entre deux pylônes meringués de glace. Kipp étouffa un juron. La silhouette d'un homme venait d'apparaître sur le toit de la benne, au-dessus du vide. Il était 5 h 10. Il faisait presque noir."
Pour lire la suite veuillez vous rendre sur le site d'Isabelle Foreau intitulé L'être en lettres et cliquez juste là pour accéder à la page de son Calendrier de l'Avent afin de retrouver ici l'intégralité du texte...
Que celui qui a des oreilles pour entendre entende.
Jn-Mc
Source Illustration : Babelio
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