L'art de devenir député et même ministre...

Salut & Fraternité,

          Séquence électorale aidant, les éditions Librio remettent au goût du jour un essai philosophico-comique intitulé "L'art de devenir député et même ministre pour un oisif qui n'est ni l'un ni l'autre." (1846). Son auteur,  François de Groissillez (1807-1887), n'en est pas resté là  car il a également publié "Histoire de la chute de Louis-Philippe" (1851)  et "Les Cosaques de la Bourse" (1854). Rédigé sur la fin de la Monarchie de Juillet (1830-1848) ce texte nous parle d'un député qui de nos jours serait pour le moins anachronique mais ce qu'il dit du mandat et des moeurs politiques n'en reste pas moins savoureux et s'avère parfois terriblement actuel.

          Les éditeurs ont adjoint à ce texte une postface intitulée "L'ABD de la politique." rédigée par l'historien et chercheur Christophe Granger soulignant que "Si le rire paraît sonner ici si juste, c'est que Groiseillez met le doigt sur quelque chose de décisif : dans ces manières de faire, dont on sait qu'elles se codifient justement à partir de 1840, ne se dessine ni plus ni moins que la naissance d'une façon de faire de la politique qui nous est devenue familière."

          Extraits Choisis :

          Pour la couleur, j'entends la nuance d'opinion qui forme le caractère distinctif de la candidature. Jeune ou vieil aspirant à la députation, si vous avez une opinion, car tout le monde n'est pas capable d'en avoir une, et je suis bien loin de l'exiger. Les plus adroits, au contraire,  sont, selon moi, ceux qui n'en ont pas, et la raison en est simple : l'absence d'opinion rend le caractère plus calme, et le système nerveux moins irritable ; elle éloigne les querelles et les discussions politiques sources de tant de haines et de discordes. (pg 23)

          Soyez causant, animé, familier ; spirituel pour quelques-uns, aimable pour tout le monde. Plus vous approchez du moment fatal, plus, je le conçois, votre émotion redouble, et plus cependant il est nécessaire de vous rendre rendre maître de vous-mêmes. (pg 36)

          Le bulletin, en matière électorale, est un petit morceau de papier carré, sur lequel on écrit le nom du candidat choisit par l'électeur. De ce morceau de papier dépend votre sort. [...] toujours menaçant tant qu'il n'est pas sorti de l'urne du scrutin, inutile et foulé aux pieds après la consommation du vote !" (pg 39)

         La présidence est, ne vous en déplaise, un royaume, et un bel et bon royaume. Quel beau trône que le fauteuil ! quel sceptre plus menaçant que la sonnette ! quelle corne  d'abondance plus productive que l'urne du scrutin. ! (pg 62)

          Les députés qui parlent ont sur ceux qui ne parlent pas un immense avantage, c'est de pouvoir se régaler d'eau sucrée ; non que que l'usage de cette boisson rafraîchissante soit interdite aux derniers ; mais elle ne coule pour eux qu'à la buvette... Il n'est point permis au législatif inactif, mollement étendu sur son banc, de sen abreuver dans le sanctuaire de la loi. Il est donc essentiel que ceux qui aiment l'eau sucrée soient orateurs. (pg 67)

          L'éloquence parlementaire, à l'exclusion de tous les autres genres d'éloquence, s'est emparée de la scène du monde. [...] L'éloquence parlementaire vit au jour le jour et ne laisse rien après elle. Les discours de la veille sont dévorés par ceux du lendemain. L'admiration de l'auditoire est fugitive comme les heures. Le peuple n'est ému que de ce qu'il entend ; ce qu'il a entendu meurt dans sa mémoire. Le triomphe d'aujourd'hui lui fait oublier le triomphe d'hier ; résultat désespérant pour la gloire de l'art, mais fort heureux pour celle d'un grand nombre d'orateurs." (pg 73-74)

          La tactique parlementaire est un travail de tous les jours, de toutes les heures, de tous les moments ; elle exige la connaissance de l'injuste bien plus que du juste, de la profondeur dans l'art de dissimuler, une grande souplesse de caractère, peu de compassion pour les autres, beaucoup d'indulgence et d'admiration pour soi même. Les tacticiens les plus habiles sont en général les plus égoïstes et les moins scrupuleux." (pg 88)

Que celui qui a des oreilles pour entendre entende.

Jn-Mc

 Source Illustration : Librio